« Fils d’immigrés » : un seul comédien pour 180 collégiens

…quand le spectacle vivant fait résonner l’actualité !

Au programme de français des élèves de 3e, le thème de l’autobiographie et, corrélé, celui de l’exil, sous toutes ses formes. Des objets d’étude lourds d’enjeux. Dès 2020, le collège avait souhaité offrir à ses élèves la possibilité d’assister à la représentation de « Fils d’immigrés », spectacle crée par le Théâtre du Totem…mais les aléas de la situation sanitaire, bousculant le calendrier, avaient reporté par trois fois ce projet. Ironie des temps, ce spectacle tant attendu est venu jusqu’aux élèves, au CAC de Moncontour, alors qu’à quelques heures de nous, une guerre terrible met de nouveau des milliers de gens sur la route : « immigrés », un mot qui n’a ni âge ni époque…

Avant le spectacle !

Le temps de s’installer dans la salle du CAC, sous la houlette du directeur artistique de la troupe du Totem Christophe Duffay, les trois classes de 3e et les quatre classes de 4e du collège ont été plongées dans une ambiance musicale annonçant les origines du « fils d’immigrés » qui allait entrer en scène : ainsi, c’est sur fond de Come Prima que Patrick Palmero, comédien seul dans ce « face à faces », a fait jaillir par petits bouts de vie saillants ce que fut son histoire, lui qui se serait appelé Patrizio si sa famille n’avait pas quitté l’Italie dans les années 20 pour fuir la misère et trouver du travail en France, dans les houillères du Dauphiné, à La Mure, près de Grenoble. De ce fait, au travers des mots du texte écrit par Zouliha Magri, Patrick Palmero évoque, par touches tour à tour pédagogiques ou franchement drôles, ce qu’a été son enfance. Celle d’un « fils d’immigrés » qui ne comprenait pas, tout « gosse », ce que cette insulte facile signifiait, pour lui qui était né en France. Dans un décor résolument intimiste et propre à la confidence, sur le ton de laquelle -par le biais d’un faux dialogue dont le public se sent immédiatement destinataire grâce au tutoiement adopté- le comédien s’exprime une heure durant, on suit le déroulé du « déracinement » originel. Les parents, portés par la valeur travail, vont faire en sorte de s’intégrer ; et du « Ma che casino ! (Mais quel bazar !) » généalogique, cette mère née dans le Frioul, et ce père originaire du Piémont, vont forger année après année, pour eux et leurs quatre enfants, un destin en langue française. Pendant le spectacle, jamais l’Histoire ne se sépare de l’histoire de Patrick Palmero : la mine où s’échinent ses parents, ses accidents, la silicose ; les grèves et la fraternisation dans la lutte sociale ; le bonheur des premières vacances en auto ou des séjours aux sports d’hiver…la baie vitrée du décor permet la projection de documents d’archive et nous apparaît comme la porte d’entrée dans la mémoire du comédien. Être fils d’immigrés, c’est découvrir et affronter la litanie des insultes (« rital, macaroni »), la pérennité des clichés (« les italiens, ça joue de la mandoline ») ; c’est réaliser que le « sale boulot », c’est aux immigrés qu’on le donne…

Patrick-Patrizio se raconte !

Assurément, la force de ce spectacle, c’est de dépasser la simple évocation d’un tableau familial nostalgique, doux-amer, hilarant parfois (ah, ce père qui invective son fils de copieux « Bourrique, stupido » quand meurt Lulu, sa plus belle lapine, après gavage de luzerne !!) pour montrer en quoi le destin des « fils d’immigrés » se forge en dépassant d’identiques épreuves, de quelqu’origine que soient ces immigrés-là… : le propos de Patrick Palmero mêle le sort des Polonais, des Algériens ; il suit le fil des décennies et narre les combats de Touche Pas à Mon Pote, la question du port du foulard, le sort des Boat People. Il met en exergue les termes de « laïcité » et « métissage », sans omettre de rappeler, en fredonnant la chanson de Pierre Perret « Lily » qu’aujourd’hui encore, l’expression « être immigré » demeure une formule d’exclusion…

Au terme de cette heure d’évocation sans temps mort, les 4es quittent le CAC et restent les 3es pour une rencontre « bord de scène » avec Patrick Palmero, Christophe Duffay et Yohann Le Gall responsable technique. Un peu timides au départ, les questions finissent par fuser : Agathe, Juliette, Fiona, Mathéo, Lysandre, Romane, Anaïs, Emma…Des interrogations sur le travail de comédien, sur le montage son/vidéo, sur la famille et sur l’usage de la langue italienne en son sein. Des partages aussi, liés aux origines étrangères de certaines. Patrick Palmero va titiller les élèves : « Et les insultes, pourquoi en avez-vous ri ? »…et de faire réfléchir sur -au mieux- la navrante banalité que ces propos peuvent parfois contenir. L’étonnante lucidité sur le message véhiculé par le texte n’échappe pas à Fiona : « C’est votre ressenti, mais c’est toujours d’actualité »… Tout est compris.

Bord de scène !
Questions même pour le régisseur !

La chaleur de cet échange final a fait mouche car, au moment de retourner au collège, certains s’attardaient encore pour solliciter Patrick Palmero : « Comment vous faites pour tout retenir ? » ou, moins conventionnel ….« C’était du vrai vin dans la bouteille ? » !!

Curieux jusqu’au bout..!
L’artiste !!

Voir en ligne : Le site du Théâtre du Totem